Commentaire - Casamance : armes tirées par les rebelles et arguments tirés par les cheveux (Par Babacar Justin Ndiaye)


L’inqualifiable massacre du samedi 6 janvier a provoqué un geyser d’indignations et un flot de réprobations. Le pays tout entier a vibré à l’unisson. La classe politique a enregistré un sursaut voire un aggiornamento admirablement consensuel. Sur une large et bigarrée palette qui va du Premier ministre Abdou Mbaye au député Abdou Mbow, en passant par le maire Idrissa Seck, le chœur des condamnations a été sans bémol, à propos du crime. Ici, il ne s’agit pas du Code électoral mais du Code de sauvegarde nationale.

La posture nationale est sans équivoque. Par contre, la lecture gouvernementale ou officielle des évènements devient de plus en plus douteuse et décevante. Pratiquer la politique de l’autruche en Casamance, c’est amorcer la pompe des erreurs. Dans les médias comme dans le communiqué du ministère chargé du Tourisme, on forge, peaufine, propose ou vend la thèse selon laquelle « des bandes isolées » et « des coupeurs de bois » sont les auteurs du carnage, pour des raisons liées à l’exploitation des ressources forestières. Arguments fallacieux qui absolvent mal le MFDC et accablent grandement l’Etat. Pire, ces explications tirées par les cheveux confortent la stratégie des rebelles dans ce coup-ci. 

En effet, les indépendantistes gagnent sur les deux tableaux. Sur le premier, le gouvernement lave proprement le MFDC et, par ricochet, lui colle généreusement un profil surréaliste de mouvement de moines armés mais inoffensifs dans la forêt. Incroyable ! Sur le second tableau, César Atoute Badiatte, le coupable blanc comme neige, se frotte les mains, après une tragédie bien orchestrée qui atteint son objectif, à savoir : secouer tragiquement le processus de paix et, dans la foulée, le tirer de sa torpeur aux allures de panne masquée. En parcourant le communiqué du MFDC local et en lisant les réactions du MFDC-Europe, on voit que les rebelles condamnent la tuerie – même le Diable ne revendiquerait pas la paternité d’un méga-méfait comme celui-là – mais condamne également la politique de louvoiement, c’est-à-dire la facilitation et la médiation des petits pas, sans progression notable ni progrès substantiels du Président Macky Sall. Moralité : la mort des treize personnes est, à la fois, une aubaine odieuse et une bonne tribune pour le MFDC qui a thématiquement squatté et squatte encore tous les débats.  

Au demeurant, les pires arguments sont ceux qui produisent des effets boomerang. Asseoir la thèse des coupeurs de bois, eux-mêmes, décapités par « des bandes isolées » et protectrices des bois, c’est tolérer que le MFDC fasse le travail du service régional des Eaux et Forêts. Inacceptable dans un Etat de droit qui est fier de disposer de redoutables mais coûteuses Forces de sécurité et de défense. On n’accuse pas gratuitement le maquis de César Atoute Badiatte. Ce sont des faits, des gestes et des paroles qui mouillent le MFDC.

D’abord, aucune bande autonome (donc forcément concurrentes des rebelles) n’ose s’aventurer, encore moins camper aux abords du maquis. Seule l’armée nationale est en mesure de défier le MFDC, hors des villes, en Casamance. Ensuite, on entend des membres du MFDC – relayés par des notabilités de la région – dire que la guerre est déclarée à la mafia bien identifiée qui saccage l’écosystème fabuleux et merveilleux de la Casamance. Ils ont mille fois raison. Après la liquidation de la forêt dense de Khelcom-Mbégué (Abdou Diouf l’a cédée à la confrérie mouride), la Casamance est devenue l’ultime rempart contre l’avancée du désert et contre la sahélisation non stop du territoire sénégalais.  

Toutefois, la pertinence et l’urgence de la tâche n’érigent pas la rébellion en démembrement ou bras armé du ministère de l’Environnement. Mieux, lorsque le Président Yaya Jammeh épaulait la mafia sino-gambienne qui dévastait les forêts de Bignona et de Kolda, où était et que faisait le MFDC ? Certainement, les rebelles casamançais n’étaient pas encore convertis à la belle religion de l’écologisme. Un écologisme flamboyant dans la presse et sanglant dans la brousse.   

Arrêtons de nier un faisceau d’évidences ! Hier, des tirs d’artillerie ou d’armes lourdes ont été entendus par les habitants de Ziguinchor. A-t-on besoin de marteau-pilon pour écraser une mouche ? Le MFDC mène, depuis 1982, un combat ouvertement et courageusement assumé partout : sur le terrain des hostilités militaires, dans les médias et sur – au moins – trois continents.  Par conséquent, toutes les bandes armées ont essaimé de ses flancs et de ses idées. Toutes affaires cessantes, le Président de la république doit prendre à bras-le-corps, le problème lancinant de la Casamance.
Mardi 9 Janvier 2018




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